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09 décembre 2020

Samar Louati (ECL2003), business angel et entrepreneure engagée

Business angel, entrepreneure, experte en finance de marché et en gouvernance des systèmes d'information, ex-conseillère ministérielle en Tunisie, administratrice pour l’ACL… Samar Louati (ECL2003) est une femme d’engagements ! Pour Technica, elle nous parle de son parcours, des actions qu’elle mène en faveur du développement de startups innovantes sur le continent africain, et de sa volonté de valoriser la place des femmes dans la création d’entreprise au travers de l’unique réseau de business angels au féminin en France.


Bonjour Samar. Pouvez-vous nous résumer en quelques lignes votre parcours ?
On peut dire que je n’ai pas eu un parcours typique. L’attrait des grands groupes et des carrières toutes tracées n’a jamais eu de pouvoir sur moi. Mon diplôme de Centrale en poche, j’ai choisi d’entamer ma carrière professionnelle dans une entreprise jeune et dynamique, leader mondial dans la finance de marché et l’édition de logiciel. Un domaine que je connaissais très peu à l’époque puisque je m’étais spécialisée en génie industriel à Centrale et obtenu un DEA en systémique. Rapidement, on m’a confié des projets importants à gérer et une équipe à encadrer mais l’appel de l’entrepreneuriat et de l’indépendance fut plus fort encore. C’est ainsi qu’au bout de 5 ans, j’ai quitté le confort du salariat et fondé ma propre société de conseil avec comme premier client mon ancien employeur.

La révolution tunisienne a ensuite constitué un tournant dans ma vie. J’étais en mission à Munich quand l’ancien dictateur a fui le pays. Pour moi ce fut le signe qu’il fallait retourner en Tunisie pour essayer de contribuer à sa reconstruction. C’est ainsi qu’a commencé mon parcours citoyen, militant voire politique. J’ai d’abord co-fondé avec des amis une association qui avait pour ambition de mobiliser les compétences tunisiennes dans le monde et contribuer à la reconstruction du pays en travaillant sur des thématiques variées telles que l’éducation, le développement régional, l’observation des élections etc. C’est grâce à cette expérience que j’ai pu aller sur le terrain, parcourir le pays et découvrir des facettes qui n’étaient pas forcément visibles pour tout le monde avant la révolution.

Ensuite j’ai constitué une liste indépendante pour les premières élections libres du pays, les élections de l’Assemblée Constituante. Et même si nous n’avons pas eu la chance d’être élus, j’en garde un excellent souvenir: Nous avons réussi à enrichir le débat, à élaborer un programme complet pour le pays et à faire la connaissance de personnalités formidables.

De fil en aiguille, je me suis retrouvée en 2014 au sein du Gouvernement de transition dit « Gouvernement de technocrates » où j’ai d’abord fait partie de la cellule de veille stratégique et prospective au sein de la présidence du gouvernement. Ensuite, j’ai contribué à l’organisation du sommet « Investir en Tunisie - Startup Democracy » avant de devenir conseillère de la Ministre du commerce et de l’artisanat.

Après cette expérience, j’ai lancé ma première startup technologique en Tunisie tout en présidant une association prestigieuse regroupant les Tunisiens ressortissants des Grandes Écoles Françaises. Ensuite, j’ai dû revenir en France pour des raisons personnelles où j’ai repris mes activités de conseil en finance de marché et asset management, sans tout à fait quitter le monde de l’entrepreneuriat vu que je suis devenue business angel et mentor de plusieurs startups.


Copier l’existant ne m’intéresse pas. Innover, être pionnier c’est ce qui me passionne !

Votre vie professionnelle apparaît multiple, avec une partie consacrée à la finance de marché, et une autre davantage altruiste, dédiée à accompagner les entrepreneurs, voire également sociale (ONG). Si on devait chercher un fil conducteur, serait-ce celui de l'idée d'entreprendre ?
J’aime bien le terme "entrepreneur" à cause de l’idée de prise d’initiative qu’il porte. Le fil conducteur de tout ce que j’ai fait c’est ce désir ardent de construire des choses, de réaliser des projets, d’avoir un impact sur le monde qui nous entoure. Ça demande certes beaucoup de travail et un stress quasi-permanent mais pour moi le jeu en vaut la chandelle. Copier l’existant ne m’intéresse pas. Innover, être pionnier c’est ce qui me passionne.

Ce n’est pas toujours facile car il faut se renouveler en permanence, accepter d’être toujours débutant quelque-part et avoir à faire ses preuves encore et encore.  Mais au fil des expériences, j’ai appris à me faire confiance et acquis l’intime conviction qu’avec la volonté et la persévérance rien n’est impossible. Rester dans ma zone de confort n’a jamais été mon fort et je chéris plus que tout, sur le plan professionnel, mon indépendance et cette chance inouïe que j’ai de pouvoir remettre les compteurs à zéro et commencer un nouveau projet, une nouvelle aventure, un nouveau défi quand bon me semble (ou presque). Maintenant que je m’entends dire ça, c’est finalement peut-être cette mise en danger de soi qui me fait vibrer (sourire).

Le plus difficile dans tout ça c’est de devoir assez souvent dire au revoir à des gens avec qui on a partagé un bout de vie. Les fins de missions / projets pour moi ont toujours été un véritable déchirement malgré l’excitation à l’idée de découvrir la prochaine aventure.

Vous avez travaillé dans le secteur public comme conseillère ministérielle en Tunisie. Comment s'est présentée cette opportunité? Et quels enseignements en avez-vous tiré ?
Après le parcours citoyen/ militant que j’ai eu suite à la révolution tunisienne, j’ai acquis l’intime conviction que pour pouvoir enfin changer les choses il fallait être aux manettes, êtres au cœur du système. C’est ainsi que grâce à un ami, j’ai fait la connaissance d’un ancien conseiller à la Présidence du gouvernement qui m’a introduite au cabinet du chef du gouvernement au sein de la cellule de veille stratégique et prospective. Ensuite, sentant que la cellule n’était pas totalement au cœur de l’action gouvernementale, j’ai demandé au Ministre chargé des affaires économiques de l’époque de rejoindre l’équipe organisatrice du sommet « Investir en Tunisie - Start up Democracy ». Ensuite, un peu avant le sommet, j’ai appris que la Ministre du Commerce et de l’Artisanat cherchait un conseiller, j’ai envoyé mon CV et j’ai été prise. J’ai ainsi enchaîné les missions même au sein du gouvernement.

Au côté du ministère du commerce et de l’artisanat, dont le périmètre est incroyablement vaste mais souvent sous-estimé malgré l’importance capitale de ses missions et leurs impacts directs sur le quotidien du citoyen, j’ai travaillé, entre autres choses, sur des projets de digitalisation de certaines fonctions du ministère comme la gestion de la subvention publique sur les produits agroalimentaires ou les contrôles anti-fraude en collaboration avec l’Union européenne. J’ai également contribué à la mise en place de la stratégie du commerce extérieur et piloté le projet de la « guillotine réglementaire », financé par la banque mondiale, ayant pour principal objectif l’amélioration du climat des affaires en Tunisie.

J’ai tiré énormément d’enseignements de cette courte expérience à commencer par l’importance de la volonté politique et de la cohésion gouvernementale pour faire aboutir des réformes de fonds, le mode de fonctionnement de l’administration publique avec ses forces et ses faiblesses, la nature des relations gouvernement - bailleurs de fonds internationaux. En somme, les enjeux et les défis de la gestion de la chose publique. Je pense que ce que j’ai appris durant cette année dépasse de loin ce qu’aurait pu m’apporter un MPA et m’a sûrement donné assez de matière pour écrire un livre sur le sujet !

J’ai été approchée récemment pour un poste encore plus important au sein de l’actuel gouvernement de compétences tunisiens et j’ai compris, à ce moment là que, quelles que soient les circonstances et quelque soit le prix à payer je serai toujours prête à répondre présente à l’appel de la patrie. D’autres facteurs ont fait que les choses n’aboutissent pas mais cette volonté de m’investir corps et âme au service de mon pays m’habite toujours.

Plus il y aura d’investisseuses actives plus il y aura d’entrepreneuses à succès !

Vous faites partie aujourd'hui du réseau "Femmes Business Angels". Pouvez-vous nous présenter ses missions ?  En quoi la dimension "féminine" de l'entrepreneuriat est-il important pour vous?
Unique réseau de «business angels» au féminin en France et premier réseau en Europe, Femmes Business Angels réunit près de 150 femmes qui investissent personnellement dans des start-ups à potentiel et les accompagnent afin de les aider à émerger et à se développer. Je suis membre de ce réseau depuis deux ans maintenant en tant qu’investisseuse active et je fais partie des comités de sélection et de sourcing.

J’avoue que ma prise de conscience de l’importance de la solidarité féminine dans le domaine professionnel m’est venue un peu sur le tard. Pendant mes jeunes années, je ne croyais qu’au mérite. Le genre, l’âge ou l’appartenance ethnique n’avaient aucune importance à mes yeux. Après, les chiffres m’ont frappé d’eux mêmes, je ne vais pas m’étendre sur le sujet ici mais il est maintenant de notoriété publique que le nombre de femmes dans les conseils d’administration d’entreprise, dans les comités exécutifs et dans le monde de l’entrepreneuriat et de l’investissement en général est ridiculement bas surtout comparé au nombre de femmes aux parcours académiques d’excellence.

Les raisons derrière ce constat sont nombreuses, en partie historiques et culturelles bien entendu mais également dues à une solidarité masculine inconsciente. Il y a un mécanisme d’identification qui se met en place au moment d’investir qui fait que les hommes ont tendance à faire plus facilement confiance à leurs « semblables », c’est un biais genré prouvé par de nombreuses études et c’est pourquoi je dis que plus il y aura d’investisseuses actives plus il y aura d’entrepreneuses à succès !


Vous avez également lancé "Bridging angels", un réseau d'investisseurs et d'entrepreneurs, issus principalement des diasporas africaines, désirant soutenir des startups et PMEs innovantes, créatrices de valeur sur le continent…
L’objectif de Bridging Angels est comme son nom l’indique de construire des ponts entre un continent Africain en pleine transformation et les places financières internationales via principalement une diaspora qui réussit. L’ambition de Bridging Angels est de fédérer les diasporas africaines (actuellement la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont représentés au sein de notre réseau) et les amoureux de l’Afrique de manière générale afin d’encourager et financer des entreprises créatrices de valeur sur le continent avec un business model scalable à même de produire les prochaines licornes africaines.

Au delà du financement, tous les membres du réseau donnent de leur temps pour partager leurs expériences sectorielles et/ou managériales avec les jeunes porteurs de projets et facilitent des mises en relation professionnelles pertinentes.

Nous avons soutenu ainsi, à titre d’exemple, une Edtech tunisienne qui est partie à la conquête du marché Africain en commençant par l’Algérie. Nous sommes heureux et fiers d’avoir participé à la mise en place de cette expansion régionale. Et nous sommes actuellement en train d’étudier des opportunités d’investissement dans une Super App Algérienne ainsi que dans une startup sénégalaise alliant e-commerce et logistique.

Être entrepreneur en Afrique est un défi considérable, déjà que la vie d’un entrepreneur en soi est loin d’être facile avec ses hauts et ses bas, ses moments de doute et ses tracas quotidiens. En Afrique, ce défi est double car il faut une forte résilience pour s’adapter au contexte local souvent compliqué avec une législation  très contraignante, une plus grande difficulté d’accès au financement qu’en Europe et un marché local soit très limité en termes de taille, soit très exigeant à cause de la faiblesse du pouvoir d’achat, soit verrouillé par les cartels de l’économie de rente, soit les trois à la fois malheureusement.

L’ambition de Bridging Angels est d’encourager et financer des entreprises créatrices de valeur sur le continent africain avec un business model scalable à même de produire de futures licornes

Comment sélectionnez-vous les projets dans lesquels vous investissez ? Quelles sont les erreurs classiques que commettent les entrepreneurs en quête de financement ?
A titre personnel, j’investis dans des projets qui me parlent, dans lesquels soit j’identifie un impact social ou environnemental, soit je détecte une innovation intéressante. En un mot, des projets porteurs de progrès. J’avoue également être attentive à la composante genre et je crois aux vertus des équipes mixtes dans la réussite des projets entrepreneuriaux. Et en parlant d’équipe, celle-ci est déterminante dans la validation d’un investissement: la force de persuasion des porteurs, la confiance qu’ils inspirent et la cohésion de leurs équipes sont des éléments clés.

Dans le cadre de Bridging Angels, nous ciblons des entreprises qui ont fait leur preuve sur le plan local en générant un chiffre d’affaire récurrent et qui souhaitent lever des fonds pour financer une expansion régionale ou internationale.

L’erreur classique que fait tout entrepreneur, quelque soit son pays d’origine, est de vouloir brûler les étapes et de commencer à chercher des fonds avant d’avoir validé son « Proof of concept ». Si celui-ci est validé, il est important de se faire accompagner car le process de levée peut s’avérer long et complexe, pourtant celui-ci obéit à des codes assez standards que les initiés connaissent bien tels que les KPIs à mettre en avant lors de la présentation de tout projet, la profondeur du marché, la scalabilité, les barrières à l’entrée et les perspectives d’exit. Aussi les clauses du pacte d’actionnaire peuvent-elles surprendre des jeunes entrepreneurs et il est bon de se familiariser avec avant d’entamer une véritable levée.

J’investis toujours dans des projets qui me parlent, dans lesquels j’identifie soit un impact social ou environnemental, soit une innovation intéressante


Est-t-il facile de dire non à un projet ? Comment fait-on pour ne pas y mettre trop d'affect ?
Ce n’est jamais facile de dire non à un projet surtout quand celui-ci coche pas mal de cases mais malheureusement souvent il faut faire des choix sans être sûr à 100% de faire le bon choix. C’est toute la difficulté de l’exercice :). Un acte d’investissement se doit d’être rationnel, et même si l’affect y joue parfois un rôle plus ou moins important, il faut savoir le mettre de côté quant il le faut et suivre sa raison pour ne pas s’embarquer dans des projets qu’on ne sent pas et/ou épuiser trop rapidement ses réserves d’investissement.

Avec toutes vos activités, à quoi ressemblent vos journées de travail ?
A vrai dire, mes journées passent trop vite et j’aurais tellement aimé pouvoir les rallonger mais malheureusement je n’ai pas trouvé de solution miracle à part d'être flexible, multi-tâches et de profiter de la moindre fenêtre pour placer une réunion, exécuter une tâche, avancer sur un sujet ou faire les devoirs des enfants :). On dit souvent que tout est question d’organisation et de gestion des priorités mais je ne dirais pas que mes journées sont réglées comme du papier à musique, au contraire, je tiens à garder une part de spontanéité et d’imprévu dans ma vie quotidienne même si c’est de plus en plus dur dans le contexte actuel.
Pour mon équilibre psychologique, j’ai également besoin de passer un peu de temps avec moi même tous les jours à lire, méditer ou tout simplement à jouer. J’adore jouer aussi bien avec les chiffres qu’avec les lettres :)

Un dernier mot sur votre rôle d'administratrice de l'ACL. Pourquoi avoir décidé de vous y investir et quelles sont vos missions ?
J’ai décidé de m’y investir tout simplement par souci de « redevabilité » et peut-être aussi un peu par nostalgie d’une époque révolue (elle sourit). Au départ j’ai rejoint le CACS International en vue de participer à la réflexion sur la valorisation du diplôme à l’international. Ensuite, j’ai rejoint Centrale Entrepreneurs puis Centrale-Supélec Business Angels et plus récemment je me fais le relai de l’association auprès de l’IESF et de Centrale Innovation. J’ai également participé à la revue des statuts et je viens de prendre en charge un stream de réflexion autour de la revue des cotisations.

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