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06 mai 2021

Jean-Marc Paré (ECL 1983) fondateur de Biocold Process

Jean-Marc Paré (ECL 1983) n’est pas du genre à avoir froid aux yeux. Entrepreneur dans l’âme, il imagine au milieu des années 90, avec son père ingénieur des Ponts et Chaussées, une solution qui optimise l'hygiène et le stockage des produits frais dans les chambres froides et les espaces réfrigérés. Il nous raconte aujourd’hui, 25 ans plus tard, cette aventure entrepreneuriale bien partie pour durer.


Bonjour Monsieur Paré. Racontez-nous comment est née l’idée à l'origine de Biocold Process ?

En 1994, j’ai eu l’occasion de rencontrer les responsables techniques des principaux groupes de distribution commerciale (Auchan, Cora, Casino, etc.), qui m’ont unanimement indiqué souhaiter réduire la consommation électrique de leurs magasins. Or un tiers de la consommation d’un magasin est engendré par les équipements froids : chambres froides, vitrines réfrigérées, meubles.

Après étude, Il est apparu que la surconsommation électrique était provoquée notamment par les ouvertures de portes des espaces réfrigérés, entraînant des introductions d’air chaud et d’humidité, qui condensaient dès la fermeture des portes.

J’ai travaillé avec mon père Albert PARE, ingénieur des Ponts et Chaussées, sur cette problématique. Nous avons obtenu plusieurs subventions de l’ADEME, acheté des appareils de mesure pour valider nos observations (capteur de température et d’humidité, de la vitesse de l’air, de la consommation électrique), dans le cadre de plusieurs conventions et d’études in situ puis en laboratoire. Nous avons émis l’hypothèse qu’en ajoutant des matériaux poreux de type tamis moléculaires ayant des propriétés de régulation de l’humidité par adsorption-désorption, une réduction du temps de fonctionnement des compresseurs était envisageable.

Nous avons alors recherché les matériaux poreux les plus pertinents, matériaux de synthèse ou matériaux naturels et avons fait une recherche d’échantillons au niveau international. Notre choix s’est porté sur des matériaux naturels, et nous avons conçu, avec l’appui du BRGM un mélange minéral unique répondant parfaitement à cette problématique. Cette étude nous a amenés, lors des essais in situ, à découvrir que les minéraux utilisés entraînaient également une amélioration de la conservation des produits frais stockés.

Nous avons alors décidé d’approfondir cet axe de recherches et de travailler sur cet autre aspect, ce qui nous a conduit à enrichir notre composition minérale en traitant la question des odeurs ainsi que les problèmes de conservation liés à l’émission d’autres gaz (éthylène, COV, etc.)

Nous avons recherché d’autres subventions (CRITT des Industries Agro-Alimentaires, ANVAR) pour mener ces études, et enfin aboutir à notre premier produit, en 1997.

- Comment fonctionne « techniquement » la solution que vous avez développée ?

J’ai très rapidement souhaité donner la priorité à des minéraux naturels pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ceux-ci avaient moins fait, à l’époque, l’objet d’études, (internet n’existait pas en 1995, et les échanges d’information étaient plus compliqués). Mais surtout, j’avais le profond sentiment que l’avenir était dans le « bio ».

Nous avons découvert, lors de nos échanges avec le BRGM, que la nature produisait des minéraux tout à fait incroyables, avec des résultats parfois stupéfiants sur l’amélioration de la conservation des produits frais, tant sur le plan des qualités organoleptiques que microbiologiques.

Si l’on regarde la question de l’humidité de l’air directement en contact avec les produits périssables, eux-mêmes constitués majoritairement d’eau (Aw), on peut parler d’interactions complexes, physiques chimiques mais aussi bactériologiques qui vont concourir à une dégradation plus ou moins rapide des produits.

La chose devient encore plus compliquée quand on veut traiter de produits frais différents : les viandes, les produits à base de viande, les fruits, les légumes, les plats cuisinés, les produits traiteurs, salés ou sucrés, ont des problématiques de conservation distinctes. Nous avons élaboré un mélange minéral « polyvalent » qui fonctionne pour ces différentes typologies de produits alimentaires, mais également pour les fleurs coupées.

- Quels sont les principaux bénéfices pour vos clients ?

Nos clients sont majoritairement des commerçants alimentaires de détail, restaurants, bouchers, charcutiers, traiteurs, etc. ainsi que les fleuristes, et plus généralement toutes les entreprises ayant des espaces réfrigérés (collectivités, hôpitaux, distribution commerciale). Le marché est immense.

Biocold Process se présente sous forme de filtres de différents formats, appelés Filtres Stabilisateurs, contenant un sac technique poreux aux gaz et étanche à la poussière minérale. Ces filtres sont placés dans des endroits stratégiques des espaces réfrigérés pour donner le maximum de résultat.

Notre groupe distribue les Filtres Stabilisateurs dans le cadre de contrats de location, avec une prestation de services trimestrielle consistant au remplacement des filtres usagés par des filtres propres. Cette prestation de services est assurée par un réseau de 43 franchisés indépendants sur le territoire français.

Outre la réduction de la consommation électrique des groupes froids, les clients constatent, lors d’un essai gratuit préalable à la signature du contrat, des améliorations visibles et/ou gustatives de leurs produits frais : les viandes sèchent moins et conservent leur fraîcheur de façon notable, les produits traiteurs s’abîment moins, les fruits et légumes se conservent plus longtemps, etc.

Nous avons établi des relations de confiance durables avec les principaux syndicats de métiers de la bouche, et signé des accords de partenariats nationaux avec la CGAD (Confédération Générale de l’Alimentation de Détail), CFBCT (Confédération Française de la Boucherie Charcuterie Traiteur), CNCT (Confédération Nationale des Charcutiers Traiteurs) et bien d’autres.

- Comment s'est fait le passage du concept à la création de l’entreprise ?

Le groupe BIOCOLD PROCESS n’est pas ma première création d’entreprise. J’avais créé auparavant un organisme de formation professionnelle après avoir dirigé un groupe de formation en tant que salarié. J’étais donc rodé aux spécificités de la création d’entreprise.

Le concept BIOCOLD PROCESS est né en 1994, et la société ALPA SYSTEMS INTERNATIONAL en mars 1995. C’est donc allé assez vite. En revanche, la phase de R&D s’est avérée plus longue que prévue, notamment quand nous avons décidé d’étendre nos recherches de la régulation de l’humidité à l’amélioration de la conservation des produits réfrigérés, le traitement des odeurs, des COV et d’autres gaz nocifs à ladite conservation.

- Le produit a-t-il évolué depuis son lancement ?

Nous avons, dans une première étape, développé notre produit phare, la Cassette BIOCOLD PROCESS, contenant notre premier mélange minéral, qui a eu du succès dès 1997 et pendant de nombreuses années.
J’ai démarré cette aventure à Paris, puis en 2004, j’ai quitté l’Ile-de-France pour m’installer avec mon épouse à la campagne, dans le Gard, près de Sommières. Nous avons eu deux filles, que nous avons élevées, un peu à l’abri de la « civilisation », BIOCOLD PROCESS était comme une petite entreprise ne connaissant pas la crise, nos franchisés assurant le développement dans une relation gagnant-gagnant.

J’avais mis au point la fabrication des Filtres et leur retraitement dans des centres situés en France, le process était à maturité, et le réseau de franchise se développait tranquillement.

En 2010, j’ai décidé de développer des produits complémentaires, de formes différentes, pour permettre des installations plus faciles dans toutes sortes d’espace réfrigéré, mais également j’ai souhaité approfondir la problématique de la qualité bactériologique de l’air.

J’ai donc repris ma casquette de chercheur, et j’ai travaillé sur d’autres types de minéraux naturels pouvant s’adjoindre au premier mélange. J’ai également amélioré le sac contenant le mélange minéral, qui possède dorénavant des qualités antibactériennes.

J’ai fait appel à un designer et un plasturgiste pour optimiser les formes des Filtres Stabilisateurs tant sur le plan technique que sur le plan esthétique. Ce travail a été ralenti lorsque j’ai découvert en 2014 que trois franchisés avaient passé un accord secret avec une société française spécialisée dans les minéraux poreux pour tenter d’imiter notre produit et créer un réseau concurrent, et ce malgré les clauses de non-concurrence prévues dans nos contrats de Franchise.

J’ai été contraint d’engager des procédures lourdes pour faire cesser ces infractions et faire condamner ces individus. J’ai découvert que la vie d’un créateur n’est pas un long fleuve tranquille, et que le droit est un axe clé de la réussite et la pérennité d’une entreprise !

- Comment procédez-vous généralement pour prendre une décision importante ? Vous souvenez-vous de grands moments de doutes ?

Je suis d’un naturel optimiste et fonceur, donc j’ai tendance à lancer beaucoup de choses à la fois, cependant, me semble-t-il raisonnablement. J’ai constitué une petite équipe salariée autour de moi, des personnalités très compétentes et très attachantes, nous avançons les dossiers avec pugnacité, j’essaie de transmettre ma joie de vivre, je ne manage pas en force, en tout cas j’essaie !

Nous bossons sur des questions de développement commercial, nous réfléchissons à l’amélioration des méthodes de prospection et de vente, qui sont très écrites, au développement de nouveaux marchés, au suivi informatique des stocks, à l’amélioration des process de suivi de la satisfaction clients …pas trop le temps de douter, nos agendas sont bien remplis !

Mon plus gros moment de doute a été lors de la découverte du réseau concurrent occulte, on ne s’y attend pas, quoique les franchisés en question n’étaient pas les plus sympas.

Mon épouse, notaire de formation, et associée d’ALPA SYSTEMS INTERNATIONAL qui gère principalement les questions juridiques, est mon interlocuteur privilégié. Cependant, si vous l’interrogez, elle vous dira que je décide un peu tout, tout seul, elle a peut-être raison, mais j’écoute, j’échange, la décision c’est un peu de la chimie !


- Avec du recul, quelle erreur auriez-vous pu éviter dans votre parcours d’entrepreneur?

J’aurais pu aller plus vite, en tout cas pendant la période 2004-2010 mais nous étions tellement heureux à la campagne, et je ne regrette rien. J’aurais pu, au départ, mieux protéger mon savoir-faire, notamment face à la concurrence. J’avais opté pour une stratégie de secret plutôt qu’une stratégie de brevet, un peu comme Michelin à leurs débuts. Les choses ont changé depuis !

- Quelle fut selon vous la meilleure décision que vous avez prise pour le développement de votre société ?

Le développement de mon réseau de distribution sous l’égide de la Franchise. Cela donne un levier puissant pour ne pas perdre le contrôle de son affaire, mais également sur le plan des relations humaines, la relation franchiseur-franchisé est quelque chose que je chéris, il n’y a pas de fioritures, on est entre chef d’entreprises, dans l’efficacité et on peut même nouer des relations de sympathie et d’amitié dans la durée. J’ai des franchisés avec qui je suis en contrat depuis plus de vingt ans !

- Comment définiriez-vous votre rôle au sein de l’entreprise et comment celui-ci a-t-il évolué ?

Je suis le pilote, l’homme-clé. J’ai 61 ans, et à un moment ou à un autre, il faudra que je pense à quitter le navire. Mais je ne me vois pas arrêter de travailler… L’idée sera peut-être dans quelques années de passer le flambeau progressivement, pourquoi pas à mes enfants ? Aujourd’hui l’entreprise est arrivée à maturité. Mais rien n’est jamais terminé et pour l’instant je m’amuse bien.

- A quoi ressemblent vos journées ?

Je suis très casanier, j’aime être au bureau plutôt qu’en déplacements, mon domicile se trouve à 3 mn en vélo de mon bureau, à Bordeaux depuis 8 ans. Je ne fais pas confiance à ma mémoire, j’ai un tableau EXCEL de plus de huit mille lignes et je note chaque jour ce que j’ai à faire, ce que j’ai fait, etc.

Je planifie quelques réunions, mais pas trop, je laisse ma Responsable de Développement se charger de l’organisation et de la planification.

Mon bureau est toujours ouvert, mes collaborateurs viennent me voir quand ils veulent, et je mets toujours l’accent sur la création, l’imagination, les idées. Cela vient de mon parcours je pense, à côté de mes études d’ingénieur, j’ai toujours été passionné par les arts. Après Centrale Lyon, j’ai suivi le cursus de l’Ecole de la Chanson, j’ai pris des cours de piano Jazz au CIM, j’ai travaillé le chant lyrique pendant des années. A Centrale, je trainais tous les jours au Club Pop, ou j’ai connu à l’époque un des frères Moutin. J’aime bien rigoler, donc je m’entoure de gens qui ne font pas la gueule !

Souvent je ne prévois rien et je laisse mon esprit vagabonder, j’aime faire de la veille technologique, je laisse les choses murir, je prends des notes. A d’autres moments, on boucle des dossiers, et la tout se précipite, jusqu’à finalisation. C’est aussi très excitant.

On a des interlocuteurs très variés sur des sujets pas étudiés à l’Ecole Centrale (Droit des Affaires, de la concurrence, de la Franchise, Conseil en Brevet, Expertise Comptable, Design, etc.), il faut s’adapter très rapidement, ça maintient en forme !

- Qu’est-ce qui vous fait encore avancer aujourd’hui ? Prochaine étape ?

Les rêves. Nous n’avons pas abordé le marché des particuliers, et pourtant j’y ai beaucoup réfléchi, notamment l’été dernier. Pour l’instant, ce dossier est en gestation, car il faut être raisonnable, mais je vais y revenir. Nous ouvrons un troisième centre de fabrication des Filtres Stabilisateurs, nous travaillons sur l’ouverture d’un nouveau canal de distribution auprès des professionnels, donc le planning est chargé. Nous venons également de vivre la pandémie Covid19, 1/3 de nos clients sont restaurateurs, mais il n’y a pas de doute que le marché des particuliers est très excitant.

- Un conseil aux Centraliens qui réfléchissent à devenir entrepreneur ?

Foncez, n’hésitez pas une seule seconde. Si vous avez la fibre, je ne dirai pas le virus par les temps qui courent, le jeu en vaut la chandelle. Je rêvais d’être un artiste, je suis devenu un businessman, j’ai encore du pain sur la planche, et je vais faire comme si j’étais immortel encore quelques années. L’entrepreneuriat est avant tout une passion.

Sur le plan des savoirs, je n’ai pas fait de cycle autre que Centrale Lyon (en dehors de mes formations artistiques) mais des compléments dans les domaines du Droit notamment des Brevets (passionnant pour un ingénieur), de la Compta, Finances et Fiscalité, n’auraient pas été inutiles, en tout cas au départ. L’entreprise, c’est la vie, régalez-vous !

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