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26 août 2025

Rencontre avec Laurent Gallois (95) Chef adjoint d’unité Restauration à l’Office des infrastructures et de la logistique de la Commission européenne

La Commission européenne ressemble à une véritable ville dans la ville, avec ses rouages administratifs, ses lieux de vie et ses milliers d’agents qui œuvrent chaque jour à son fonctionnement. Ingénieur centralien, Laurent Gallois en connaît plusieurs facettes depuis plus de dix ans : d’abord au sein de la Direction générale du commerce, puis à l’Office des infrastructures et de la logistique, sorte de « services généraux » de l’institution. En 2024, il prend un nouveau virage en devenant chef adjoint de l’unité Restauration, responsable du bon fonctionnement de 7 restaurants et 26 cafétérias accueillant chaque jour plusieurs milliers de collègues européens. Entre management d’équipes multiculturelles, enjeux numériques, organisationnels et budgétaires, il revient sur son parcours et son quotidien au cœur de l'institution européenne.


Bonjour Laurent. Quel a été votre parcours jusqu’à votre prise de fonction actuelle au sein de la Commission européenne ?

Bonjour à tous. À ma sortie de l’École Centrale Lyon, et après avoir effectué mon service militaire, j’ai commencé ma carrière au sein des services informatiques de la Société Générale, à Paris. J’y ai travaillé près de 10 ans, notamment sur l’adaptation des systèmes d’information de la banque de détail au passage à l’an 2000 (le fameux « bug » de l’an 2000) et à l’introduction de l’Euro. J’ai ensuite travaillé quelques années comme consultant en informatique, en particulier sur les systèmes de gestion des risques financiers avant de rejoindre ma future épouse, qui est allemande,  et de travailler 2 ans  à Hambourg dans la filiale allemande d’une société d’assurance française.

 

Pour autant, je nourrissais depuis longtemps le projet de travailler au sein des Institutions Européennes, à la fois par conviction europhile mais aussi par le côté international des équipes et la localisation géographique entre la France et l’Allemagne. J’ai préparé et réussi un concours de la Commission Européenne et nous sommes donc arrivés à Bruxelles en 2013.

Mon premier poste au sein des Institutions européennes a été chef de projet informatique à la Direction générale du commerce (« DG TRADE ») de la Commission européenne. Nous développions des systèmes IT pour contrôler le respect des accords commerciaux de l’Union européenne, comme celui signé avec le MERCOSUR (encore en attente de ratification). Je peux vous dire que dans le cas par exemple de la Chine, ou maintenant la Russie, il fallait être vigilant et seules des solutions informatiques permettaient et permettent encore aujourd'hui de détecter les tentatives de sociétés étrangères (parfois en relation avec les gouvernements des pays concernés) de contourner ou de ne pas respecter (toutes) les règles contenues dans ces accords internationaux. Or cela peut avoir des conséquences sur nos entreprises et donc nos emplois.

J’ai ensuite pris la responsabilité du secteur informatique des services logistiques de la Commission européenne (CE) à Bruxelles, au sein de ce qu’on appelle ici l’OIB (Office de la logistique et des infrastructures pour Bruxelles). C’est en quelque sorte les services généraux de la Commission européenne à Bruxelles. Un peu comme si en France, les services généraux de l’ensemble des ministères étaient regroupés au sein d’une seule structure. Cet office gère l’ensemble du parc de bureaux de la CE à Bruxelles, qui hébergent près de 30.000 collaborateurs, mais aussi les restaurants et cafétérias dans ces bâtiments, les crèches et services de garderies pour les enfants du personnel, les archives historiques de la CE (et même de la CECA, ancêtre de l’UE) et les véhicules et vélos de services. Cela recouvre des métiers et activités très variés, mais indispensables au bon fonctionnement de la Commission et au bien-être de son personnel soit près de 30.000 collègues (et leurs enfants), ce qui est une belle responsabilité ! Des solutions informatiques sont bien entendu indispensables pour en assurer un fonctionnement optimal.

Technica : Vous êtes passé de fonctions liées à l’IT et la gouvernance à la gestion de la restauration collective ? Comment s’est opérée cette transition ?

J’avais exprimé l’envie de changer de poste (après 5 ans en tant que responsable IT de l’OIB) et même de m’essayer à un domaine autre que l’informatique "pure". Mon management m’a alors proposé de rejoindre l’unité en charge de la restauration collective de l’OIB. Celle-ci fait face à des défis opérationnels divers et excitants.

Jusqu’en 2020, nos restaurants d’entreprise et cafeterias étaient externalisés comme pour beaucoup d’entreprises ou organisations. C’est-à-dire qu’une société privée spécialisée (comme Eurest, Sodexho par exemple) gérait notre restauration collective sous la forme d’une concession. Imaginez qu’au moment du Covid, en 2020, tous les restaurants et cafétérias de la CE ont été fermés, pour des raisons sanitaires évidentes et aussi faute de collègues dans les bureaux donc de « clients » : presque tout le monde s’étant retrouvé en télétravail forcé. Puis progressivement, les collègues sont revenus au bureau, mais partiellement et pas tous les jours. Cela coïncidait avec la fin du contrat de concession de notre restauration collective évoqué précédemment. Aucune société spécialisée ne souhaitait reprendre l’exploitation de nos services, le risque étant trop élevé en raison de l’incertitude sur le nombre de clients et de revenus.  Il a fallu que quelques collègues avec de l’expérience dans le domaine relancent eux-mêmes progressivement l’activité. Cela ressembla en réalité davantage à une internalisation de l'activité. Maintenant, en 2025, nous exploitons 7 restaurants d’entreprise et 26 cafétérias, servant près de 6 000 repas par jour et 1 million de cafés par an. Nous assurons également le restaurant gastronomique dit « protocolaire » pour les 27 Commissaires européens et leurs invités de prestige (chefs d’État ou de gouvernement par exemple).

Cela demande une gestion opérationnelle très fine et dynamique. Les produits et ingrédients pour les plats changent régulièrement, des fournisseurs n’ont pas toujours de stocks ou livrent en retard, l’affluence de nos restaurants et cafétéria est variable et parfois imprévisible, l’activité exige beaucoup de personnel y compris « externe » et des absences arrivent régulièrement qu’il faut pallier quitte à réorganiser l’activité en cuisine….

Et il y a bien sûr une dimension IT avec la mise en place de solutions pour gérer nos fournitures alimentaires et non-alimentaires, nos encaissements et paiements, notre suivi des règles d’hygiène, etc.

Technica : Concrètement, en quoi consiste votre rôle de Chef adjoint d’unité Restauration au sein de l' Office des infrastructures et de la logistique (OIB) ?

En tant qu’adjoint au chef d’unité, j’assiste mon responsable dans toutes les tâches de gestion. Nous coordonnons les activités de trois équipes, réparties sur nos sept restaurants (dans autant de bâtiments différents du quartier européen de Bruxelles) et nos près de 30 cafétérias. Nous supervisons les aspects RH (recrutement, carrière, absences à pallier…), budgétaires et financiers (achats alimentaires et autres), la préparation de l’ouverture de nouveaux restaurants et cafétérias (la Commission européenne rénove, vend, rachète ou loue chaque année un ou plusieurs bâtiments pouvant accueillir un restaurant d’entreprise et/ou une cafétéria), ainsi que le suivi des risques, notamment en matière de sécurité alimentaire. Nous travaillons également à l’avenir avec nos équipes, pour améliorer continuellement l’offre de repas et de boissons, en la rendant plus écologique, plus durable et, en même temps, financièrement équilibrée.

Technica : Pourriez-vous nous donner un exemple concret d'un projet sur lequel vous intervenez actuellement (modernisation des infrastructures, qualité nutritionnelle, durabilité, digitalisation des services, etc.) ?

Nous travaillons en effet sur tous ces sujets en parallèle. Nous devons préparer l’ouverture de futures installations (restaurants, cafétérias) et anticiper, dans les bâtiments encore en travaux, les espaces et matériels nécessaires à nos activités (équipements professionnels de cuisine, flux de circulation des marchandises, du personnel et des « clients » au sein des espaces de restauration), en nous basant uniquement sur les plans. Nous disposons également d’une équipe chargée d’améliorer la qualité nutritionnelle de nos plats et la gestion des allergènes.

Nous avons également lancé une initiative pour obtenir un label de restauration « durable » pour nos restaurants.

Enfin, et cela me ramène à mes premières amours, nous menons actuellement un projet de digitalisation complète de la gestion de nos activités de restauration, en intégrant différents logiciels et services IT. L’objectif est de faire communiquer de manière optimale nos différents logiciels, qui gèrent aujourd’hui séparément la planification des repas (menus), les achats alimentaires, les prestataires externes, le suivi des allergènes et des règles d’hygiène alimentaire, ainsi que les services d’encaissement.

Nous visons également à disposer de données fiables et transversales, qui nous aideront à mieux prévoir nos besoins et à optimiser nos achats, nos coûts et nos revenus. C’est le prix à payer pour assurer un service de restauration de qualité, apprécié par nos collègues, tout en respectant les contraintes budgétaires de la Commission européenne et les règles des marchés publics.

Technica : À quoi ressemble concrètement une journée type dans vos fonctions ? Quel est l’équilibre entre réunions, coordination avec les prestataires, gestion d’équipe, suivi budgétaire… ?

Il y a pas mal de réunions en effet. Je commence généralement ma journée en jetant un œil à mes e-mails pour vérifier s’il y a des urgences, ce qui arrive souvent ! J’essaie ensuite de passer la matinée dans l’un de nos restaurants. Cela me paraît important, voire primordial, d’être sur le terrain et d'être au contact de mes collaborateurs.

Bien sûr, il y a les chefs d’équipe, qui nous remontent, à mon responsable et à moi, les principaux éléments, mais rien ne vaut le contact direct : passer en cuisine ou dans les couloirs permet de sentir la situation et de discuter informellement avec les collègues. Notre unité est grande : 80 collègues de la Commission européenne y travaillent, assistés par près de 300 prestataires externes. Cela fait beaucoup de monde, et être régulièrement présent, même simplement pour serrer les mains, permet de mieux connaître ces personnes et de comprendre leurs besoins ou problèmes. C’est une dimension importante de mon rôle.

Ensuite, suivent les réunions sur les différents sujets en cours, comme ceux déjà évoqués. Je déjeune, sauf exception, dans l’un de nos restaurants ou cafétérias.

Technica : Quels sont les grands défis liés à la gestion de la restauration collective pour une institution aussi vaste et multiculturelle que la Commission européenne ?

Nous devons assurer au quotidien un service indispensable pour nos collègues. Il ne s’agit pas seulement de répondre à leurs besoins physiologiques, mais aussi de préserver un moment de plaisir et de convivialité. Ces instants sont essentiels : ils permettent de tisser des liens entre collaborateurs, d’échanger des informations ou simplement de « recharger les batteries ». Tout cela contribue directement au bon fonctionnement de l’Institution.

Le défi consiste à offrir une alimentation de qualité, diversifiée et adaptée à des goûts particulièrement variés, puisque nos collègues viennent des quatre coins de l’Europe et ont des habitudes alimentaires différentes. Il faut en même temps respecter nos contraintes budgétaires — la pression sur le budget européen et sur les coûts de fonctionnement est constante — ainsi que nos contraintes opérationnelles, telles que le code des marchés publics, qui garantit la transparence et l’équité entre fournisseurs.

Technica : Comment intégrez-vous des préoccupations comme le développement durable, la réduction du gaspillage alimentaire ou l’approvisionnement local ?

Nos équipes en cuisine sont formées à une gestion optimale des déchets alimentaires. Celles qui élaborent les plats prennent bien évidemment en compte les facteurs saisonniers des aliments. Comme déjà évoqué, nous travaillons à l’obtention d’un label de durabilité belge pour nos restaurants. Nous nous efforçons de favoriser les circuits courts, tout en respectant les règles des marchés publics européens qui ne permettent pas de privilégier l’origine géographique au sein de l’Union Européenne.

Technica : Vous avez exercé auparavant dans le secteur bancaire, un environnement très différent. Quelles sont, selon vous, les principales différences entre une fonction managériale au sein d’une institution européenne et un poste équivalent dans une grande entreprise privée ?

Je n’avais pas les mêmes responsabilités dans le secteur privé. Nous retrouvons, j’imagine, des contraintes similaires mais néanmoins différentes dans le contexte de la Commission européenne.

L’aspect budgétaire et financier est, je pense, un bon exemple de ces différences. Dans une administration comme la CE, nous ne cherchons pas à réaliser de bénéfices. Nous devons néanmoins, comme dans le privé, rester vigilants sur nos coûts, puisque nous sommes financés in fine par les contribuables européens. De plus, certains partis politiques au Parlement européen et certains gouvernements au Conseil européen sont très attentifs aux dépenses de fonctionnement de la Commission.

L’aspect RH est également crucial, surtout compte tenu de la taille de l’unité que je co-dirige. Il diffère cependant du secteur privé, car nos collaborateurs sont principalement des fonctionnaires européens et bénéficient, à ce titre, d’une certaine protection, un peu comme les fonctionnaires français. La motivation, la gestion des carrières et les mobilités doivent donc être pensées dans ce contexte. Il n’y a, par exemple, pas de prime de résultat à distribuer en fin d’année.

Enfin, en tant qu’institution européenne, nous avons un devoir de transparence et d’exemplarité. Tout problème, même sanitaire, pourrait être relayé par des médias ou exploité à des fins politiques pour critiquer la Commission et, indirectement, le projet européen. Les entreprises privées font aussi attention à leur réputation, mais elles sont rarement exposées politiquement de cette manière.

​Questionnaire express

- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ?

curieux, insouciant, studieux

 

- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ?

Je passais pas mal de temps avec plusieurs copains, surtout Henri, Alain, Olivier et Bilal (ils se reconnaitront je pense)

 

- Votre matière préférée à Centrale Lyon ?

L’espagnol ! J’ai toujours aimé apprendre les langues, et la culture qui va avec. J’ai finalement découvert, et appris, l’allemand bien après ma sortie de l’Ecole, quand j’ai rencontré ma future épouse…

 

- Celle que vous appréciez le moins ?
Science des matériaux (si je me rappelle bien l’intitulé)

 

- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ?

J’étais déjà plutôt attiré par des fonctions de gestion de projet et de management, plutôt que purement techniques ou scientifiques. Je ne savais pas trop quel métier ni dans quel domaine je travaillerais.

 

- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours pro jusqu’à aujourd’hui ?

Je pense qu’il dirait que c’est plutôt une belle carrière, assez variée tant professionnellement (j’ai travaillé dans une banque, une compagnie d’assurance, été indépendant, puis dans une administration publique) que géographique ou culturelle (j’ai travaillé en France, en Allemagne et en Belgique dans une environnement international).

- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ?

Rester curieux, ouvert et ne pas faire trop de plan de carrière. Des opportunités se présentent souvent, auxquels on n’avait pas forcément pensé. Et penser à sa vie privée, ce qui peut, comme dans mon cas, orienter vos choix professionnels.



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Auteur

Après plus de dix années passées à la Société Générale, puis dans le conseil et l’assurance en Allemagne, Laurent rejoint la Commission européenne en 2013. Il y a d’abord développé des systèmes de contrôle pour les accords commerciaux internationaux, avant de prendre la responsabilité du secteur IT de l’Office des infrastructures et de la logistique (OIB). Aujourd’hui, en tant que chef adjoint de l’unité Restauration, il supervise avec ses équipes la gestion de 7 restaurants et 26 cafétérias servant chaque jour plusieurs milliers de repas aux 30 000 agents de la Commission à Bruxelles.

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