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30 septembre 2024

Grand Paris Express : Rencontre avec Jérémie Wajs (ECL1998), responsable cellule essais de l’Intégration Système Global chez SYSTRA

Jérémie Wajs (ECL1998) intervient depuis bientôt 3 ans en tant que responsable de la cellule essais de l’Intégration Système Global pour le projet du Grand Paris Express. Son rôle : veiller à la préparation et au suivi des essais, garantissant la sécurité et la performance des infrastructures avant l’ouverture au public de ce gigantesque chantier, qui prévoit la création de 200 kilomètres de lignes de métro automatique et de 68 nouvelles gares, le tout en seulement 20 ans ! De quoi occuper ses journées de travail, surtout quand s’ajoute à celles-ci, la direction de l’activité Systèmes Globaux chez SYSTRA, fleuron du savoir-faire ferroviaire français qu’il a rejoint il y a plus de 13 ans. Des responsabilités et un quotidien que Jérémie Wajs nous partage dans ce long et riche entretien.


Depuis la fin de vos études, quasiment toutes vos expériences professionnelles ont été dans le secteur ferroviaire. Qu’est-ce qui a motivé et motive encore aujourd’hui votre intérêt pour les problématiques du secteur ?

En 3ème année à l’ECL, je suis parti suivre un Master en double diplôme à Penn State aux États-Unis. Et y suis resté pour un PhD, à la suite duquel j’ai fait une année de postdoc au Canada, année qui a constitué pour moi un test sur mon appétence à la recherche. Le test a été concluant en sorte, puisqu’il m’a pour la première fois fait comprendre que j’étais ingénieur avant tout, et donné l’envie de me tourner vers ce métier (au-delà du diplôme). A mon retour en France, il y a eu une part de hasard dans le choix du ferroviaire : j’ai trouvé un poste dans ce secteur à un moment où le marché était tendu, mais le ferroviaire (et notamment à l’époque la signalisation ferroviaire) reprenait des aspects de rigueur quasi-mathématique qui m’étaient chers et mettait en avant un secteur vertueux, tourné vers le bien commun. Aujourd’hui, je reste très fier de me dire que j’ai contribué et que je continue à contribuer à améliorer la qualité de vie des usagers en leur fournissant des moyens de transports sûrs, fiables, réguliers et respectueux de l’environnement. De meilleurs transports en commun conduisent à moins de voitures sur les routes, moins d’embouteillages : des temps de transport améliorés pour nous et un lendemain moins gris et pollué pour nos enfants, pour mes enfants.

Pouvez-vous nous décrire votre rôle et missions en tant que responsable cellule essais de l’Intégration Système Global ?

L’Intégration Système Global est une mission d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage portée par SYSTRA auprès de la Société des Grands Projets (SGP). Sur sa mission essais, elle a pour buts, d’une part, d’assister la SGP dans le pilotage technique de Siemens, titulaire en charge de l’exploitation générale, du suivi des essais d’intégration et de la réalisation des essais d’ensemble sur les lignes 15, 16 et 17 du Grand Paris Express, et d’autre part, d’apporter un conseil et une vision d’ensemble à la SGP sur l’ensemble des problématiques liées aux essais. SYSTRA s’appuie sur sa solide expérience des projets de transport public pour ces deux aspects, en bénéficiant par exemple du retour d’expérience de projets complexes récents comme la modernisation de la signalisation du métro lyonnais ou l’extension du RER E parisien jusqu’à Nanterre.

Quel est le rôle de la Direction Systèmes Globaux au sein de SYSTRA dans le cadre du Grand Paris Express ? Quelles sont les principales interfaces avec les autres entités et les maîtres d'ouvrage ?

J’ai en fait deux rôles chez SYSTRA. Un rôle de manager (hiérarchique) en tant que Directeur d’Activité Systèmes Globaux. La Direction Systèmes Globaux de SYSTRA, forte de 45 collaborateurs, a pour rôle d’assurer les activités de niveau système sur l’ensemble du cycle en V, en phase descendante comme remontante sur les projets de systèmes de transport, du début des spécifications en avant-projet jusqu’à la mise en service commercial. Les ingénieurs système de cette direction viennent décliner les besoins de transport aux différents sous-systèmes composant le système : le matériel roulant, la voie, la caténaire, l’alimentation, les systèmes dits « courants faibles » (réseau, moyens audio-visuels, billettique, etc.) ; ils interagissent avec les spécialistes de ces sous-systèmes, puis s’assurent que les différents sous-systèmes mis en œuvre par des industriels remplissent leurs fonctions définies : en quelque sorte, que l’ensemble des briques de ces systèmes complexes s’emboîte correctement, sont conformes à leur fonctionnel et à leurs interfaces telles que prévues, et répondent au besoin initial de transport en termes de performances d’exploitation et de maintenance. Sur la grande majorité de ses projets, SYSTRA assure un rôle de maître d’œuvre ou d’assistant technique à maîtrise d’ouvrage : nous sommes en quelque sorte les « sachants » techniques œuvrant en appui aux maîtres d’ouvrage pour leur permettre de réaliser leur projet.

 

Dans le cadre du Grand Paris Express, nous avons de multiples rôles (le projet est énorme, il s’agit d’un des plus gros projets d’infrastructure de transport d’Europe) dans cette veine : nos équipes interviennent en tant que maître d’œuvre sur les automatismes de conduite (l’intelligence qui permettra aux trains de rouler sans conducteur) et la commande centralisée (la « tour de contrôle » pour les exploitants), sur le matériel roulant, les équipements industriels (l’ensemble des machines industrielles équipant les dépôts permettant d’assurer la maintenance lourde des rames) et les véhicules de maintenance de l’infrastructure (qui permettront à la RATP, en tant que gestionnaire d’infrastructure, d’effectuer de la maintenance préventive comme corrective sur les infrastructures du Grand Paris Express. Nos équipes interviennent également sur plusieurs missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage : pour les aspects de gestion des interfaces, qui sont très nombreuses et complexes sur un projet de cette envergure, pour la préparation des essais afin de s’assurer que ceux-ci se déroulent à la fois en sécurité et dans le respect des objectifs de mise en service, pour la préparation du transfert aux futurs exploitants et mainteneurs du réseau à compter de la mise en service.

 

Mon deuxième rôle, depuis bientôt trois ans, est en tant que responsable de l’équipe d’assistance à maîtrise d’ouvrage (équipe d’Intégration Système Global) en charge de la préparation des essais du Grand Paris Express. La mise en service d’une ligne du Grand Paris Express (4 nouvelles lignes prévues : 15, 16, 17 et 18, avec des mises en service phasées sur plus de 5 ans) nécessite pas loin de deux ans d’essais, avec des processus robustes permettant d’anticiper tout ce qui peut se passer lors de ces essais : cela nous donne beaucoup d’activité !

Quels sont les enjeux et les défis spécifiques liés à l'intégration des systèmes dans un projet d'infrastructure aussi vaste que le Grand Paris Express ?

Le Grand Paris Express est un des plus grands chantiers ferroviaires d’Europe. Il va ajouter 200 km de métro entièrement automatique au réseau parisien historique, avec 68 nouvelles gares. Pour comparaison, le réseau actuel de métro de Paris comporte 16 lignes et est long d’un peu moins de 250 km. Il a fallu pour le développer à son état actuel, environ 120 ans. Le Grand Paris Express va donc, en moins de 20 ans, presque doubler l’infrastructure du métro parisien, et cela constitue un formidable défi en soi ! Ce projet implique en outre de très nombreux acteurs, suscitant ainsi beaucoup d’interfaces qui sont autant d’éléments à tester en amont de la mise en service. De plus, la côté titanesque entraîne immanquablement un budget tout aussi titanesque, pour lequel la SGP a besoin de montrer régulièrement que les travaux avancent : ainsi, de nombreuses actions de communication sont réalisées, sous la forme d’expositions (La Fabrique du Métro à St Ouen sur Seine, ouverte à tous, présente le projet, la Cité de l’Architecture a accueilli début 2024 une exposition temporaire sur les gares du Grand Paris Express), de portes ouvertes sur les chantiers, ou encore d’événements médiatisés autour de l’avancement du projet (comme le premier roulage d’une rame sur le réseau fin novembre 2023). Ces actions nécessitent toutes un travail et une préparation minutieuse pour en garantir le succès, avec une forte collaboration de l’ensemble des contributeurs au projet.

Quelles sont les différentes phases de tests et de validation mises en œuvre pour garantir la fiabilité et la performance des systèmes ? Comment gérez-vous les éventuels écarts par rapport aux spécifications ?

La validation d’un système de transport complexe suit un processus rigoureux incrémental sur toute la partie remontante du cycle en V. Elle démarre par des essais en usine des composants et sous-ensembles des sous-systèmes. Les différents sous-systèmes passent également par des essais en plateforme d’intégration, pour vérifier dans cet environnement leur capacité à communiquer. Ils sont ensuite installés sur site puis mis sous tension, et démarre une nouvelle phase d’essais sur site destinés à valider le fonctionnel de chaque sous-système. En suivent des essais d’intégration, destinés à valider la bonne mise en œuvre des interfaces : essais statiques (sans mouvement de rame), comme par exemple des essais de mise sous tension du profil aérien de contact (caténaire rigide équipant le Grand Paris Express), puis essais dynamiques (avec mouvement de rames). Les essais se font par zone d’essais (il y en a cinq par exemple sur la ligne 15 Sud), permettant d’avancer progressivement sur le linéaire en partant du Site de Maintenance et de Remisage des rames situé à Champigny et de conjuguer besoins d’essais avec besoin d’achèvement des travaux sur le reste du linéaire. Lorsqu’une zone d’essais est sur le point d’être mise sous tension pour permettre les mouvements de rame, on la déclare « Zone Rouge » : elle est alors soumise à une réglementation stricte visant à garantir la sécurité vis-à-vis du risque électrique et des risques liés à la circulation. Une fois que les essais d’intégration sont réalisés sur l’ensemble des zones, les derniers essais d’intégration sont réalisés pour la ligne entière, avant de finir par une phase d’essais d’ensemble destinée à valider les performances de la ligne. Puis vient la phase ultime avant mise en service : la marche à blanc, durant laquelle l’exploitant prend possession de la ligne et forme son personnel pour être parfaitement opérationnel le jour J.

Bien entendu, malgré toute la préparation et toutes les vérifications apportées, des écarts sont constatés lors des essais (sans quoi on n’aurait pas besoin de faire des essais !). Dans ce cas, ils sont tracés comme anomalies, investigués, et suivis jusqu’à résolution. Certaines anomalies, bloquantes, doivent être levées avant d’avancer. D’autres, non bloquantes, devront simplement être corrigées ultérieurement pour pouvoir prononcer la réception.

Ce projet Grand Paris Express représente-t-il le plus grand défi professionnel que vous ayez eu à relever ?

Très probablement ! Après un peu plus de vingt ans dans le monde ferroviaire, j’ai eu l’occasion de collaborer sur de nombreux projets. Mais assurément, le Grand Paris Express sort du lot par son volume et ses enjeux (comme je le disais, doubler le linéaire du métro parisien en relativement peu de temps), ainsi que sa complexité organisationnelle (nombre d’acteurs impliqués) comme technique.

Le chantier du Grand Paris Express sera le premier projet d’infrastructure de transport de cette envergure entièrement modélisé en BIM (Building information modelling). Y a-t-il d’autres grandes innovations technologiques utilisées sur ce projet ?

Le BIM est utilisé sur les projets ferroviaires depuis un certain temps déjà, et SYSTRA est au premier plan des promoteurs de cette modélisation, dès la phase de conception et au-delà de la mise en service (le BIM est notamment porteur de gros avantages en maintenance grâce à la mise au point d’un « jumeau numérique » de la ligne construite). Pour ce qui concerne l’intégration, il permet de prendre en compte quasiment en temps réel l’état des installations, plutôt que d’utiliser des plans qui présentent classiquement toujours des écarts par rapport à la situation terrain.

Le projet porte d’autres innovations et premières : premier métro automatique à roulement fer en France (traditionnellement en France, les lignes automatiques sont usuellement des lignes de métro sur pneus, offrant de meilleures capacités de freinage et surtout moins de glissement roue/rail , ce qui est plus favorable pour faciliter la localisation autonome des rames) ; mais également de grandes améliorations aux process de production orientées vers le bilan carbone de l’opération, comme l’utilisation de béton bas carbone ou de rails bas carbone.

Comment envisagez-vous la maintenance et l'évolution des systèmes sur le long terme ? Quels sont les mécanismes mis en place pour faciliter les mises à jour et les adaptations ?

La maintenance de projets comme le Grand Paris Express (et de manière générale tous les projets ferroviaires) se pense en amont : il faut intégrer les problèmes de maintenabilité dès la conception de chacun des sous-systèmes, penser à l’organisation des équipes de maintenance et aux moyens logistiques à leur disposition pour leur permettre d’assurer leur mission dès la mise en service, comme par exemple les véhicules de maintenance de l’infrastructure, dimensionner les stocks de pièces, anticiper les indisponibilités pour permettre de maintenir un niveau de service égal aux usagers. Chaque sous-système est également conçu en prévoyant une durée de vie adéquate et des actions pour le maintenir en bon état. Certains éléments sont intrinsèquement plus durables que d’autres, et il faut anticiper les remplacements et mises à niveau. C’est le cas de toutes les lignes, et on voit par exemple des renouvellements d’équipements de signalisation (très récemment, la RATP a ainsi renouvelé le système de signalisation de la ligne 14 du métro, mise en service en 1998) ou des renouvellements de rames, pour offrir de meilleures performances et plus de confort aux usagers.

La majorité du capital de la société SYSTRA a été confiée cette année à des investisseurs privés. Est-ce que cela implique des changements de fonctionnement en interne en particulier pour votre direction ?

SYSTRA est historiquement filiale des deux grands acteurs du ferroviaire en France que sont la SNCF et la RATP. Nos maisons-mères ne se désengagent pas de SYSTRA qui reste un des fleurons du savoir-faire ferroviaire français dans le monde. Néanmoins, pour permettre de poursuivre notre développement, le capital de SYSTRA s’ouvre en 2024 à un nouvel investisseur privé. C’est un process encore en cours qui n’a pas conduit à des changements majeurs en termes de fonctionnement interne : nous continuons et continuerons à mettre en avant l’excellence technique et ce savoir-faire qui est le nôtre depuis bientôt 70 ans.

Questionnaire express

- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon : J’étais quelqu’un de sociable. Peu (rétrospectivement pas assez) studieux, une forme de relâchement suite au passage en prépa. Et je n’étais pas vraiment un fêtard à l’Ecole (ce n’était pas mon genre de sortir tout le temps, ce qui ne me classait pas pour autant dans les « pougnes »  même si j’ai bien profité de l’ambiance centralienne.

 

- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps : Pascal Chiron. On était en terminale ensemble, puis dans la même prépa, puis à l’ECL. On se voit encore régulièrement !

- Votre matière préférée à Centrale Lyon : l’informatique. Pas très original. Je suis parti à Penn State pour en faire. Et aujourd’hui je n’en fais plus directement (du tout).

- Celle que vous appréciez le moins : pas sûr qu’il y en ait eu une, les sujets étaient tous intéressants. Même si je dois confesser un manque d’assiduité que j’ai regretté par la suite notamment sur les sujets liés à la mécanique, en particulier la mécanique des fluides…

- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL : je n’en savais pas grand-chose à vrai dire. La réalité du métier d’ingénieur et son attrait me sont apparus plus tard.

- Un conseil que vous aimeriez donner à l’élève que vous étiez : Va plus en cours ! Je me souviens encore de Jean-François Rambicur (80), notre parrain de promo, qui nous a dit le jour de la remise de diplôme que nous avions d’excellents profs, même si nous ne les avions pas tous connus… ce qui avait beaucoup fait rire. Mais il avait raison !

- Un conseil que vous aimeriez donner aux élèves actuellement à Centrale Lyon : au risque de faire sourire : allez en cours ! Profitez de vos années à l’Ecole, elles sont uniques et passent vite. Mais profitez-en dans tous les sens du terme : le social, mais également l’enseignement, il est de tout premier plan et vous avez une chance et un privilège incroyables. Faites des stages intéressants, soyez curieux, ça vous servira toute votre vie.

 

Auteur

Riche de son expérience dans les systèmes critiques, en particulier dans le domaine ferroviaire, Jérémie WAJS est actuellement responsable cellule essais de l’Intégration Système Global chez SYSTRA sur le projet du Grand Paris Express. Il est également directeur de l’activité Systèmes Globaux chez SYSTRA qui réunit 45 collaborateurs.

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